Agents IA RH : enjeux stratégiques, juridiques et rôle clé des DRH
Si les premiers cas d’usage de l’IA agentique laissent entrevoir des processus RH plus fluides et plus efficaces, ils introduisent aussi une complexité inédite dans les entreprises.
Derrière la fascination technologique se dessinent des questions de fond abordées lors du Septeo Future Insights HR 2025 : comment encadrer des systèmes capables d’agir de manière autonome ? Quelle place laisser à l’humain dans la prise de décision ? Et quel rôle pour les RH dans cette nouvelle ère où humains et intelligences artificielles devront apprendre à cohabiter ?
En résumé
- Le déploiement des agents IA en RH est classé « à haut risque » par l’IA Act : il impose contrôle humain, transparence et consultation du CSE.
- L’arrivée de ces « collaborateurs-machines » entraîne une transformation organisationnelle et culturelle profonde, qui oblige à redéfinir la gouvernance IA RH et la formation des collaborateurs.
- Le DRH se voit confier un rôle stratégique inédit : de simple utilisateur, il devient chef d’orchestre de la cohabitation humain-IA, garant des valeurs et de l’alignement organisationnel.
Agents IA RH : quelles sont les obligations légales ?
Le texte de référence en matière d’IA en Europe reste bien sûr l’IA Act, le règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA). Mais au-delà de ce cadre, il ne faut pas oublier les fondamentaux : le RGPD et le rôle des instances représentatives du personnel. Deux piliers qui restent incontournables pour toute mise en place d’IA en entreprise.
Que prévoit l’IA Act pour les agents IA RH ?
L’IA Act classe l’usage de l’intelligence artificielle en fonction de du niveau de risque associé : minimal, limité, élevé et inacceptable1.
Dans le domaine des ressources humaines, on rencontre deux usages de l’IA distincts :
- Certaines pratiques sont classées comme étant inacceptables et donc interdites,
- D’autres, qui présentent un niveau de risque élevé, sont autorisées mais strictement encadrées.
Depuis le 2 février 2025, le premier volet de la loi interdit certains systèmes jugés trop intrusifs. Sont notamment prohibés les outils capables d’analyser les émotions d’une personne à partir de données biométriques (voix, gestes, pupilles, expressions du visage).
En revanche, la plupart des usages en RH sont classés comme étant « à haut risque ». C’est le cas du recrutement, de la gestion des carrières ou encore des licenciements. Ces systèmes sont autorisés, mais à condition de respecter des règles précises.
Un employeur qui déploie un agent IA pour gérer ses salariés doit garder la main et conserver un contrôle humain sur les décisions. Concrètement, cela implique de 2:
- vérifier que l’outil est utilisé conformément à ses instructions ;
- assurer une supervision humaine par des personnes formées ;
- garantir la qualité des données utilisées (pertinentes, représentatives et fiables) ;
- surveiller régulièrement le fonctionnement de l’IA et signaler tout incident aux autorités compétentes.
L’IA Act va encore plus loin : l’article 863 précise que si une décision ayant un impact significatif sur une personne est prise avec l’aide d’une IA, l’intéressé a le droit d’obtenir une explication. Autrement dit, si un salarié est licencié après que l’IA a contribué à la décision, l’employeur devra expliquer clairement quels critères ont été pris en compte.
Le même raisonnement s’applique au sourcing de CV. Un agent IA va retenir des profils en fonction des données disponibles dans l’entreprise. Si la majorité des effectifs est masculine ou issue d’une école particulière, l’algorithme risque de reproduire ces tendances. On touche ici à la question sensible des biais discriminatoires. Un risque largement identifié par les DRH : d’après notre baromètre IA & RH 2025, la discrimination algorithmique est aujourd’hui la principale crainte des DRH face à l’IA.
Il est donc essentiel de rappeler qu’en cas de biais ou d’erreur, c’est bien l’employeur qui reste juridiquement responsable des décisions prises.
Quelles obligations liées au RGPD ?
Aux obligations de l’IA Act s’ajoutent celles du RGPD. Toute donnée traitée par un agent IA RH (CV, fiches de paie, évaluations) doit l’être de manière transparente, sécurisée et proportionnée. Avant même de déployer un agent, les entreprises doivent donc revoir leurs pratiques de gestion des données pour être en conformité.
Quelle place pour le CSE dans le déploiement d’un agent IA RH ?
Le déploiement d’un agent IA ne relève pas uniquement de la technologie : il s’inscrit aussi dans le dialogue social. La consultation du CSE est une étape incontournable, comme pour tout projet ayant un impact sur l’organisation du travail.
Alexandre Duprey, avocat au cabinet Capstan, a ainsi partagé lors de Septeo Future Insights HR qu’en 2025, « trois décisions de justice à Nanterre, Paris et Créteil ont suspendu des projets d’IA, car les entreprises n’avaient pas consulté leur CSE en amont. »
Agents IA RH : une transformation organisationnelle et culturelle
Au-delà des obligations juridiques, l’arrivée des agents IA RH transforme profondément la manière dont les équipes fonctionnent au quotidien. Ces systèmes ne peuvent pas être considérés comme de simples outils : ils deviennent des acteurs autonomes au sein de l’organisation. Leur intégration modifie les équilibres et appelle de nouveaux modes de fonctionnement.
Les agents IA RH redessinent la cohabitation humain-machine
L’essor des agents IA impose d’inventer une nouvelle manière de travailler, où les collaborateurs humains devront composer avec un « collaborateur numérique ». Comprendre son rôle, ses apports et ses limites sera indispensable pour éviter les incompréhensions et renforcer la confiance.
D’autant que la tendance est forte : selon une étude Deloitte publiée en 20244, 50% des entreprises ayant déjà recours à l’IA générative envisagent de déployer des agents IA d’ici 2027. Face à cette généralisation annoncée, les managers et les RH devront organiser une cohabitation durable entre humains et IA, en définissant clairement les rôles de chacun.
Pour réussir, cette cohabitation suppose un investissement dans la formation et l’acculturation. Les collaborateurs devront apprendre non seulement à utiliser ces agents, mais aussi à interagir efficacement avec eux : savoir formuler une consigne claire, identifier quand vérifier une décision et comprendre dans quelles situations reprendre la main. Dans ce contexte, les RH se trouvent garants de cette montée en compétence collective.
Agents autonomes et gouvernance IA RH
La question n’est pas seulement de savoir “qui utilise l’agent ?” mais surtout :
- Qui contrôle son périmètre d’action ?
- Quelles données peut-il consulter ?
- Sur quels processus peut-il agir ?
- Jusqu’où peut-on déléguer des décisions sensibles ?
La règlementation fixe déjà certaines limites, mais il reste un travail de clarification sur ce qui est réellement souhaitable en entreprise. Lobna Calleja Ben Hassine, fondatrice de Besoin de rien, envie d’IA, illustre cette problématique avec une métaphore parlante : « intégrer un agent IA RH, c’est comme donner les clés de son appartement à quelqu’un qu’on connaît à peine, lui demander de ne pas rentrer dans la cuisine ou la chambre et espérer qu’il respecte les règles ».
En d’autres termes, même si un agent IA RH est paramétré avec précision, il faut accepter qu’il manipule des informations critiques et qu’il existe un risque d’erreur ou de dérive. La gouvernance IA RH doit donc être pensée en amont : sans cadre clair, on s’expose à un usage décalé des pratiques RH, voire à une perte de contrôle sur des données sensibles.
Ces deux dimensions, la cohabitation entre humains et agents IA d’une part, et la gouvernance organisationnelle d’autre part, sont étroitement liées. Une gouvernance mal définie peut fragiliser la confiance des collaborateurs, compromettre la bonne intégration des agents IA et, à terme, impacter la culture de l’entreprise.
Comme l’a résumé Nicolas Latour, consultant en technologie chez Numeum, lors du Septeo Future Insights HR 2025 :
« Ces systèmes se rapprochent, au moins symboliquement et fonctionnellement, du collaborateur. On se retrouve aujourd’hui face à un sujet de cohabitation entre l’humain et la machine, qui implique une transformation humano-culturelle et un impact profond sur la culture d’entreprise. On voit donc bien tout le rôle de la fonction RH dans cette transformation. »
L’émergence des agents IA RH : une opportunité stratégique pour les DRH
Face à ces enjeux, le rôle du DRH change de dimension. L’IA agentique n’est pas un sujet annexe : elle irrigue toute l’organisation.
Le DRH devient ainsi le chef d’orchestre de la gouvernance IA. Ses responsabilités sont multiples :
- Définir les règles : distinguer ce qui peut être automatisé par l’agent et ce qui doit rester soumis à validation humaine.
- Assurer l’alignement : veiller à ce que les agents IA incarnent les valeurs et la mission de l’entreprise, plutôt que de se limiter à des objectifs de productivité.
- Préserver le dialogue social : intégrer l’IA de manière transparente, pour éviter toute rupture de confiance avec les salariés et favoriser une adoption positive.
Ce rôle accru représente aussi une opportunité de repositionnement stratégique. Comme l’affirme Nicolas Latour :
« L’IA est une opportunité pour les RH de prendre encore plus d’importance au sein de l’organisation. »
Selon lui, ce nouveau paradigme laisse entrevoir l’émergence d’une « Direction des Ressources Humaines et Agentiques (DRHA) ». Derrière la formule, une idée forte : les RH sont appelés à devenir les garants de l’équilibre entre humains et IA au sein des entreprises.
À retenir | L’arrivée des agents IA RH est à la fois une promesse et une responsabilité.
- Promesse, parce qu’ils offrent des perspectives de gain de temps, de fluidité et d’efficacité dans de nombreux processus.
- Responsabilité, car ils soulèvent des enjeux juridiques, organisationnels et culturels majeurs.
Pour les DRH, le défi est clair : reprendre la main sur la gouvernance IA, accompagner les équipes dans l’acculturation et positionner la fonction RH comme le garant de l’équilibre entre humains et machines.